Les coraux ont l’oreille sensible
Pour la première fois au monde, une équipe de chercheurs du CRIOBE (F. Bertucci, L. Hédouin, M. Nugues & D. Lecchini) et de l’Université de Liège (E. Parmentier) ont mis en évidence que le corail « entend » ! Bien que sans oreille, le corail réagit à son environnement sonore, et peut même montrer une préférence pour un environnement sonore plutôt qu’un autre.
Le Corail, élément de base des récifs coralliens
Comprendre la relation entre l’état de santé des récifs, la pression humaine et le potentiel de survie des coraux est vital pour une gestion efficace des récifs coralliens et de la biodiversité qu’ils abritent. Le corail est la structure de base des récifs coralliens et l’habitat de presque 30% de la biodiversité marine. Sans corail, il n’y aurait pas de récifs. Animal qui se reproduit, comme l’Homme, par reproduction sexuée, le corail émet des œufs dans l’océan qui donnent ensuite naissance à des larves (bébé corail). Après un début de vie dans l’océan, ces larves doivent venir s’installer sur un récif (phase appelée « de recrutement »). Ce retour des larves vers le récif est permis, entre autres, par l’odeur émise par des algues corallines encroûtantes (Coral crustose algae ou CCA en anglais), où les coraux trouvent un lieu propice à leur croissance.
Bébé corail (au centre, en jaune pâle) posé sur une algue coralline encroûtante (en rose)
Les coraux ont de l’oreille
Jusqu’à présent, l’influence des signaux sonores chez les bébés coraux étaient méconnus. Or, les paysages acoustiques sous-marins ont déjà démontré leur rôle crucial lors du recrutement des jeunes poissons coralliens (voir le Thalassa « 50 nuances de bleu » d’Octobre 2017). Les larves de poissons préfèrent les récifs en bonne santé, plus bruyants que les récifs en mauvaise santé (car composé de plus d’espèces qui font du bruit, comme les crevettes ou les poissons demoiselle). Qu’en est-il des jeunes coraux ? Dans une récente étude, un regroupement international de chercheurs provenant de Polynésie française (CRIOBE/EPHE-CNRS-PSL), de France (Institut de Génomique Fonctionnelle de Lyon, Ecole Normale Supérieure), des Etats-Unis (University of Delaware), des Fidji (University of South Pacific) et de Belgique (Université de Liège) a testé l’importance des signaux sonores dans la sélection de l’habitat de deux espèces de coraux communes dans l’Indo-Pacifique (le corail chou-fleur Pocillopora damicornis et le corail branchu Acropora cytherea). Les bébés coraux ont été exposés à différents sons : ceux de récifs coralliens situés en aire marine protégée (AMP – son bruyant et diversifié) et ceux de récifs coralliens non protégés (peu de son et de diversité). Le résultat est clair : Les bébé coraux, comme les bébés poissons, nagent vers l’AMP !
La nuisance sonore perturbe les larves de coraux
Un autre résultat de l’étude porte sur l’impact de la pollution sonore des récifs sur les jeunes coraux. Depuis longtemps, l’augmentation du bruit généré par les activités humaines (provenant principalement des moteurs de bateaux) est connue pour avoir un impact négatif sur les mammifères marins (stress, désorientation, problème de communication entre individus, échouage et mortalité) et sur les poissons coralliens, perturbant en particulier le retour et l’installation des larves dans les récifs. Dans la présente étude, les scientifiques ont proposé aux bébé coraux d’aller soit vers une CCA placée dans un récif soumis au bruit de moteur de bateau soit vers un CCA morte dans un environnement calme. Le constat est inquiétant : les larves préfèrent éviter la nuisance sonore au point d’aller s’installer sur la CCA morte ! Ce résultat confirme l’impact négatif des perturbations sonores, qui empêchent les organismes marins de détecter et de sélectionner un habitat optimal, le plus propice à leur survie.
Optimiser les stratégies de gestion à venir
A l’instar des mammifères marins ou des poissons, les coraux sont capables de percevoir les sons qui les entourent et de réagir en fonction d’eux. Et comme eux, lorsque l’environnement devient trop bruyant, leur capacité de reconnaissance du milieu et leur orientation sont impactées. Cela diminue leur chance de survie. A la lumière de ces observations, les chercheurs conseillent donc de prendre en compte les questions de paysages acoustiques et en particulier le bruit des activités humaines dans le développement de futures stratégies de gestion qui viseraient à augmenter le recrutement des larves dans les récifs coralliens.
Lecchini D., Bertucci F., Gache C., Khalife A., Besson M., Roux N., Berthe C., Singh S., Parmentier E., Nugues M.M., Brooker R.M., Dixson D.L. & Hédouin L. (2018) Boat noise prevents soundscape-based habitat selection by coral planulae. Scientific Reports, volume 8, Article number: 9283 (2018).