Jodie Rummer, lauréate IRCP 2014, explique son projet scientifique avec les requins
« L’augmentation des gaz à effets de serres du au développement industriel et agricole ainsi que l’augmentation de la population mondiale entraînent l’élévation du taux de CO2 atmosphérique à une vitesse jamais enregistrée dans l’histoire de la Terre. Les océans absorbent environ 30% du CO2 atmosphérique, l’acidification des océans qui en résulte pourrait s’élever de 0.3-0.4 ppm à l’horizon 2100. Les informations nécessaires pour comprendre l’impact de l’acidification sur la vie marine, en particulier sur les espèces tropicales qui pourraient être les plus rapidement touchées du fait de l’augmentation de la température de l’eau, sont actuellement manquantes. Plusieurs études suggèrent qu’alors que l’élévation du CO2 pourrait ne pas affecter négativement les performances physiologiques de certaines espèces, ce seraient les comportements de prédations et de prise de décision qui pourraient être touchés. Comprendre l’impact de l’élévation du CO2 sur les prédateurs de haut niveau, comme les élasmobranches (requins, chimères et raies), et l’interaction entre l’acidification des océans et la dynamique prédateur-proie aura un rôle crucial dans le maintien de la santé des récifs coralliens et des écosystèmes tropicaux.
J’ai exploré les effets physiologiques et comportementaux d’une exposition prolongée à une quantité élevée de CO2 – les niveaux choisis l’ont été en fonction des prédictions pour 2100 (~1000µatm) – sur les juvéniles de requins pointe noire (Carcharhinus melanopterus). Des requins nouveau-nés ont été capturés dans le lagon et les mangroves de Moorea. Ils ont ensuite été maintenus dans des bassins au CRIOBE, en courant d’eau continu tout le long de l’étude, dans des conditions de contrôle ou de CO2 élevé. Après 3 et 30 jours, j’ai comparé les rythmes métaboliques, le rétablissement après l’exercice et les paramètres sanguins au repos des requins exposés au test contrôle et de ceux exposés au CO2 élevé. De plus, durant toute la durée de l’étude, j’ai comparé les comportements de nages, les intéractions de groupes, et la réponse à l’odeur de la nourriture entre les groupes. Etant donné que ces requins fréquentent les zones peu profondes du lagon et les mangroves dès qu’ils sont nés et durant les premiers mois de leur vie, il semble essentiel pour eux de s’adapter aux variations de qualité de l’eau pour exploiter ces zones protectrices et sources de nourriture. Si les requins nécessitent plus d’énergie et/ou que leur activité est modifiée sous les conditions expérimentales dans lesquelles je les ai mis, cela pourrait signifier que les dynamiques prédateur-proie et recherche de nourriture seront profondément bouleversées dans le contexte du changement climatique.
Les données sont actuellement en cours d’analyse; cependant il est évident que cette étude, mêlant des aspects écologiques et physiologiques, devrait formuler des conclusions significatives importantes concernant les problèmes de conservation au vue des effets du changement climatique sur les espèces de requins tropicaux, poissons à reproduction lente et à maturité tardive, qui sont des animaux clés pour des écosystèmes en bonne santé. »
Jodie L. Rummer, Ph.D.
Australian Research Council (ARC) Discovery Fellow (early career)
ARC Centre of Excellence for Coral Reef Studies
James Cook University, Australia